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Un conte de fin d'année en exclusivité sur CyberLiège

Il était une fois un prince très autoritaire et grand amateur de musique. Pour la fête de Noël, il avait commandé au musicien une composition musicale: il la voulait sublime, sublime au point d’apporter à la cité et à son royaume tout entier une renommée et une gloire éternelle que le pauvre musicien alignait les notes, raturait, jetait ses papiers et recommençait à en perdre la raison: il ne trouvait rien à la hauteur de ce que le prince lui exigeait. Il voyait Noël approcher avec angoisse. Il était veuf et sa fille Liegia s’occupait de garder la maison propre et de préparer les repas. Elle prenait le temps aussi de se balader dans la ville qui s’étendait de part et d’autre d’un large fleuve.



Tous les matins, Liegia rendait visite à monsieur Le Boulanger, un homme jovial et le cœur sur la main. Il lui offrait tous les jours un sac de pain pour les oiseaux que la petite fille nourrissait. Il réservait un autre sachet pour son casse-croûte, celui-ci garni de brioches, croissants et de ses dernières recettes, comme l’éclair au chocolat et la gozette aux pommes, des délices qu’on ne trouvait que chez lui.

Liegia répartissait entre mésanges, moineaux, tourterelles, rouge-gorges, verdiers, sittelles, … Chacun avait ses pains préférés. Quelques-uns s’enhardissaient à venir manger dans ses mains.
On appelait Liegia la petite fille qui parle
aux oiseaux.

Près du fleuve, c’était le tour des mouettes, des canards, des bergeronnettes… Les meilleures brioches revenaient aux cygnes: ils s’étaient établis depuis longtemps sur une presqu’île qui était, disait-on, le porte-bonheur de la ville.

De la berge, Liegia chantonnait et comptait:
Bet, Ber, Shum, Bet Ber, Shum,

- Tchai, Han, Shub, Tchai, Han, Shub,

- Moz, Chop, Viv,

- Moz, Chop, Viv, Viv, Viv? VI I IV...
Et Vivaldi arrivait, c’était le plus âgé des cygnes, le seul qui sortait de l’eau pour saluer Liegia.



Les cygnes s’éloignèrent vite ce matin. Non loin de là, des hommes pelletaient, charriaient, creusaient, retournaient.

- C’est le prince qui construit un port ce sera le plus grand port du royaume, expliqua Marius, le garde des eaux , depuis sa barque… Ils enseveliront l’ île aux cygnes.

- Ils ne peuvent pas: c’est notre porte-bonheur à tous, s'exclama Liegia.

- Le port apportera beaucoup de richesses à notre ville. Marius réfléchit et ajouta: j’ai peur comme toi les cygnes chanteurs ne reviendront plus s’ils sont dérangés cette année.

- Les cygnes chanteurs? s’étonna Liegia.

- Oui, les cygnes chanteurs s’arrêtent ici dans leur voyage vers le sud: quelques heures à peine. Je les attends depuis deux jours et deux nuits, murmura Marius en se frottant les yeux et en choisissant un éclair au chocolat dans le sachet que Liegia lui tendait. Il faut les voir, il faut les entendre pour comprendre: c’est un spectacle, un spectacle…

Marius lui racontait-il des histoires comme il en avait l’habitude? Liegia rentra très excitée. Elle servit un copieux repas à son père harassé par une journée de travail stérile. Elle parla des cygnes chanteurs, d’un fabuleux spectacle et son père pensait qu’elle délirait il se préoccupa pour sa santé.

- Je travaille trop et ma petite Liegia en souffre, se lamenta-t-il.

Cette nuit, Liegia se releva deux fois pour scruter le ciel. Les cygnes chanteurs... chanteurs.... Chanteurs... Elle se réveilla en sursaut: une musique… Ce n’était que son père qui jouait toujours du piano dans le salon. Elle s’habilla en toute hâte et sortit, enveloppée dans sa cape de laine. Le papa, intrigué et inquiet, la suivit.

Le froid mordait, la ville dormait. Monsieur Le Boulanger n’avait pas encore cuit ses pains. La petite fille filait vers l’île des cygne dans la pâleur du petit matin. Un vent étrange commença à souffler ou plutôt à chuchoter, à murmurer suavement. C’est alors qu’un immense nuage blanc se déposa sur l’eau calme du fleuve comme une vague de soie. Ils étaient des dizaines venus on ne sait d’où: les cygnes chanteurs annoncés par Marius. Et le premier chant s’éleva vers la lune, une note interminable reprise en spirale par d’autres: un tourbillon sonore.
 

Liegia et son père restèrent là, fascinés, face au soleil levant. Ils étaient hypnotisés car ce qu’ils entendaient, c’était bien la musique des étoiles. Combien de temps restèrent-ils? Les cygnes chanteurs s’envolèrent, blancs dans l’aube rouge et ils repartirent vers leur mystérieuse destination.

Vivaldi se rapprocha de Liegia: il reposa la tête sur ses genoux il était ému lui aussi il aurait voulu suivre les cygnes il tendit le cou en direction du nuage qui s’éloignait.

Le musicien, lui, sous l’influence de ce qu’il venait de voir et d’entendre,
courut à la maison et travailla deux jours et deux nuitsau bout desquelsil
présenta sa partition au prince. Le jour de la Noël, on joua sa musique
devant les prestigieux invitésde la cour: ce fut un triomphe.
Le lendemain déjà, la mélodie flottait sur toutes les lèvres, dans toutes les chaumières.


Le prince comblé par la gloire qui rayonnait sur la ville et son royaume récompensa comme promis le papa de Liegia. Celui-ci savait cependant que cette musique ne lui appartenait pas: elle lui avait été soufflée par les cygnes chanteurs. Il ne manifesta qu’une seule volonté: qu’on préserve l’île des cygnes telle quelle sur le fleuve. Le prince s’étonna, se fâcha: il tenait tellement au port.
Mais il dut céder devant tant d’obstination.


L’île des cygnes fut sauvée, on construisit le port à l’opposé, les cygnes chanteurs revinrent chaque année.
Le temps passa comme partout au monde, la ville se
modernisa. Les voitures remplacèrent les barques,
les bras du fleuve se transformèrent en boulevard,
les buildings s’alignèrent sur les quais.

Pourtant cette ville continua à accueillir beaucoup d’oiseaux.
Les gens sont là-bas habités par un profond et mystérieux respect envers ces animaux et ils se préoccupent toujours de leur ménager un espace,
un parc, un coin du jardin, un arbre, une mangeoire, un abri, un dortoir.
On finit par l’appeler Liège, ville des oiseaux.
Personne ne sait plus aujourd’hui que c’est le nom de la petite fille qui parlait aux oiseaux.

par Brigtte Yerna


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